Savoir composer avec la grande horizontale

Messieurs-dames architectes, urbanistes et paysagistes, veillez à soigner vos intervention en plaine: ce n’est pas parce qu’il semble ne rien y avoir qu’il faut faire n’importe quoi!


La plaine semble plate.  On la dit monotone, banale, bref ennuyeuse, car elle paraît uniforme sur des kilomètres. Pourtant elle ne l’est pas tout à fait. Ses subtiles nuances ne sautent pas à l’oeil, il est vrai: pour l’apprécier, il faut prendre le temps de la parcourir, ou de la contempler.

Plaine1Apparaît alors le relief inattendu: d’amples ondulations qui n’excèdent pas quelques mètres, comme une houle du paysage. Et qui, pourtant, sont sensibles. Mais pas directement: une courbe très tendue ne se remarque que par contraste avec son environnement. Ou alors parce qu’elle masque un élément du paysage voisin. C’est particulièrement visible lorsqu’on se déplace: le travelling en plaine fait apparaître et disparaître dans la perspective du spectateur, arbres, villages, animaux, dans une scénographie mouvante que la vitesse rend sensible. Dans un environnement plus varié, ou plus cloisonné, le déplacement fait défiler les paysages comme sur un carrousel. Ici il semble donner la vie à ce qui paraît inanimé.

Plaine2Sur cet imperceptible relief viennent se poser les éléments du paysage. Ce qui ne serait pas visible dans un paysage plus cloisonné, saute ici aux yeux. Ce qui ailleurs fait structure, devient ici objet: bois, villages, haies, sont mis en évidence par l’espace libre autour. Impossible dès lors de ne pas les remarquer, d’où l’importance de ce qu’ils montrent au spectateur de la plaine. Réciproquement, les cultures, développées sur des surfaces beaucoup plus grandes, deviennent textures uniformes, juxtaposées bord-à-bord telles un immense patchwork, sur lequel le moindre incident prend une importance capitale.

Beauce4Dès lors, aucune intervention dans cette sorte de contexte n’est anodine. La faute d’insertion est à la mesure du paysage: immense, car l’erreur se voit à des kilomètres! Mais ce qui paraît un défi peut aussi devenir une opportunité, pour peu que l’on sache exploiter les caractéristiques de ce paysage. En effet, le parti-pris esthétique conscient bénéficie d’une mise en scène exceptionnelle, avec notamment un proscenium incomparable dans ses dimensions comme dans sa vacuité: un rêve d’architecte!

Tout d’abord, ce qui paraît masqué dans son contexte, peut apparaître à plusieurs kilomètres de là, à la faveur d’un imperceptible effet de promontoire. Rien ne doit donc être laissé au hasard.

Lisière1Ensuite, impossible de faire fi de cette immense horizontale: dominante absolue du paysage, on ne peut que s’y intégrer ou jouer le contraste sciemment. On peut par exemple révéler le mince relief par de solides horizontales.

Puis, ce qui est en lisière est mis sur le devant d’une scène mouvante, dont il faut savoir maîtriser les effets. On peut par exemple, comme dans un jardin anglais, jouer avec le parcours et le relief pour mettre en scène la découverte d’un bâtiment ou d’un site.

Photo © Gordon Mc Bryde

Photo © Gordon Mc Bryde

Enfin, plus subtil, il faut se méfier de l’échelle du proscenium: face à des kilomètres de champs, la faiblesse du parti-pris esthétique paraîtra immanquablement mièvre. Il faut prendre position vigoureusement, comme la cathédrale de Chartres solidement plantée dans la terre de Beauce, ou se cacher, ou bien encore se révéler progressivement, mais toujours sans hésitation.

Photo © Gordon Mc Bryde

Photo © Gordon Mc Bryde

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