L’APPARTEMENT-TYPE DE LA FAMILLE MODERNE
Comme je l’ai expliqué dans le premier article, la Cité Radieuse a été commandée au Corbusier directement par l’Etat. A cette époque, les services du Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme n’ont pas encore acquis l’expertise qu’ils développeront dans les années 60 et 70, dans le cadre de la production de centaines de milliers de logements sociaux à travers toute la France. La commande est donc peu directive, et ça tombe bien car Le Corbusier, lui, a une idée très précise de ce que doit être un appartement pour le plus grand nombre. Et il n’est pas le seul : il en a longuement débattu avec ses plus prestigieux confrères et consœurs, au sein des Congrès Internationaux d’Architecture Moderne. C’est lors de ces tables rondes qu’ont été défini les canons de la nouvelle architecture dans le premier tiers du 20ème siècle. Le thème du « logement minimal » est souvent revenu à l’ordre du jour, et cela s’est traduit par des expériences multiples, qui ont énormément fait progresser l’architecture du logement social.
Mais le principal inconvénient de ces réflexions, c’est qu’elles étaient menée uniquement par des théoriciens, et fondées sur des prénotions, sans tenir compte des réalités pratiques du mode de vie des utilisateurs finaux. D’où des difficultés lors de l’emménagement… En termes plus politiques, le pouvoir technique, généralement issu d’un milieu social aisé, pensait être en mesure de décider, en fonction de son propre système de valeurs, quel mode de vie devrait adopter la classe sociale destinée à habiter dans ses réalisations. Or, si dans un logement vaste, il est toujours possible d’échapper aux contraintes qui ont été coulées dans le béton, dans un petit appartement, on doit se plier aux exigences de l’espace.
Ainsi, alors que la classe ouvrière avait conservé de ses origines campagnardes l’habitude de faire la cuisine et recevoir dans le même espace, les architectes ont décidé d’isoler la cuisine dans un espace fermé, séparé du séjour, car chez eux c’était la bonne qui fait la cuisine. Et il n’était pas question qu’elle côtoie la famille, qui restait dans le séjour. Cet aménagement de l’espace, quoique moderne et élitiste, emprisonnait de facto la femme dans sa cuisine, qu’elle soit domestique ou simple épouse. Et quand le logement est petit, la cuisine devient un réduit : c’est ce qui a donné la « cuisine laboratoire ».
La cuisine-laboratoire de Mme Arpel dans « Mon oncle » de Jacques TATI (1958) : servir un simple oeuf à la coque y devient un acte culinaire de haute technicité, exigeant une hygiène absolue ! Résultat: on s’y sent aussi à l’aise que chez le dentiste…
Le Corbusier, lui-même, était persuadé de détenir La Vérité du logement. Ne déclarait-il pas : « il faut apprendre aux habitants à habiter » ? De toutes façons, il était persuadé de détenir La Vérité sur tout : à un jeune maçon qui tentait de lui expliquer une sujétion technique, il a asséné « ta gueule, p’tit con, je sais ce qui est bon pour toi » ! Ce qui en dit long sur son sens aigu du dialogue. Ce genre de certitudes, appliquées à des centaines d’appartements, aurait pu tuer la Cité Radieuse en la rendant inhabitable aux Marseillais. Heureusement, au retour de son exil au Japon, Charlotte Perriand y a insufflé un peu d’humanisme, dès le sas d’entrée et jusqu’au fin fond des penderies ! Finalement, grâce à son sens du design, la visite de l’appartement-type de la Cité Radieuse se révèle être une succession de surprises et de délicates attentions. Très loin des appartements standardisés.
LA CUISINE DE FRANKFORT, ACCOMMODEE A LA SAUCE MARSEILLAISE
Passé la porte d’entrée, un petit réduit (n°2 sur le plan) isole l’appartement de la rue intérieure. Il sert fort opportunément de placard à chaussures, pour ne pas salir l’appartement avec ses souliers mouillés. Encore une porte et on tombe directement dans le séjour, où on trouve dès l’entrée une cuisine « à l’américaine », comme on dit chez les promoteurs : une vieille expression qui date du temps où l’Amérique était le pays de la modernité.
Cette cuisine semble banale aux yeux du français du début du 21ème siècle, abreuvé d’émissions de déco, où des dictatrices boulottes n’en finissent pas d’imposer leurs décos poufiasses, réalisées par des tâcherons, à des français moyens sommés de s’extasier. Mais aux yeux du Marseillais des années 50, c’est du jamais vu ! En effet, à cette époque, la cuisine de Marius et Fanny, comme celle des époux Dupont, est composée d’un buffet, d’un garde-manger, d’un évier posé sur un meuble et d’un fourneau. Tout ça disposé autour d’une pièce, au milieu de laquelle on trouve une table et des chaises. La « cuisine intégrée », avec ses meubles qui se suivent sous un plan de travail, surmonté d’éléments hauts en enfilade, a été inventée à Francfort dans les années 30. Cette cuisine a été industrialisée aux Etats-Unis, en la découpant en éléments, et elle est revenue en France dans les années 60, où on l’a normalisée sur la base de modules de 60×60 cm. Mais nous n’en sommes pas là : à cette époque, la Cité Radieuse a déjà été construite.
Ici, Charlotte Perriand a repris le concept de la cuisine dite « de Francfort », dont je vous parlerai dans un prochain article. C’est une femme moderne— aujourd’hui on dirait « féministe », éprise de grands espaces : elle faisait déjà de l’alpinisme et du ski avant-guerre. Il était donc logique qu’elle ne se voie pas cantonnée dans toutes les activités traditionnellement dévolues aux femmes, et notamment dans une « cuisine-laboratoire » de 4,80m². Elle a donc ouvert sur le séjour la cuisinette de la Cité Radieuse : la cloison séparant traditionnellement les deux pièces est remplacée ici par un meuble passe-plat, fonctionnant dans les deux sens. Celui-ci s’ouvre côté coin-repas, afin de prendre la vaisselle pour dresser la table, mais aussi côté cuisine pour y ranger la vaisselle propre. Comme il est relativement bas, il laisse passer les plats de la cuisine vers le séjour, puis la vaisselle sale et les déchets dans le sens inverse. Une conception directement issue des cuisines des restaurants, appliquée ici à petite échelle : encore une conception mécaniste détournée de son usage habituel, au profit du logement contemporain.
Charlotte Perriand a (presque) tout prévu dans cette cuisine, chaque ustensile a son placard adapté : il y a une table pour faire les épluchures et un tiroir pour les recueillir, un meuble égouttoir juste au dessus de l’évier, une planche à découper, des tiroirs pour les produits d’entretien (plus pratique que de les entasser sous l’évier). Mais aussi des raffinements inouïs pour l’époque : une cuisinière électrique (qui fonctionne encore cinquante ans après), un plan de travail continu en aluminium, avec un évier embouti dedans, un dosseret assorti avec le porte-savon et le porte éponge également intégrés, un placard entre la cuisine et la rue intérieure, pour se faire livrer le lait par un service de laiterie qui n’a jamais été mis en place. Pour l’hygiène, aux surfaces lisses et faciles à nettoyer s’ajoutent une hotte aspirante électrique et l’évier-broyeur d’ordures dont j’ai déjà parlé. La « cuisine de Marseille » est donc une habile négociation entre les options modernistes d’hygiénisme et de séparation fonctionnelle d’une part et le mode de vie des français moyens d’autre part.
Dans cette cuisine suréquipée, rien ne manque… sauf ce qui arrivera juste après, dès les années 60 et dont personne ne pourra plus se passer dix ans plus tard : le réfrigérateur. Dans les années 50, il vaut un mois de salaire d’un cadre et pourtant il se répand à toute vitesse en Amérique. A la place, Charlotte Perriand a prévu une glacière, alimentée par un service de glacier, via la fameuse trappe à lait. Elle n’a pas su anticiper la généralisation du frigo, pas plus que celle de la machine à laver dans les années 70, du congélateur dans les années 80, sans parler de la démocratisation des lave-vaisselles et des sèche-linges chez les familles nombreuses. Et dans cette architecture hyper-fonctionnelle, où tout a été dessiné et rien n’est laissé au hasard ou à l’improvisation, il ne reste plus une place pour ce qui n’a pas été pensé : c’est justement là, la limite de cet exercice où l’architecte tout-puissant pense qu’il sait tout et peut tout maîtriser. Dans la pratique, le congélo a souvent pris place dans le placard à chaussures de l’entrée, le frigo face à la cuisine sous l’escalier, et le meuble-bar a reculé de 60cm pour accueillir le lave-vaisselle. Comme toujours, l’utilisateur a le dernier mot et détourne à son profit les conceptions totalitaires des architectes, quitte à briser la cohérence d’un concept : il faut bien vivre, même dans une Œuvre d’Art !
Ici l’architecture a perdu face au progrès des « arts ménagers » comme on disait à l’époque. Et pourtant, cette cuisine aura un immense succès : son design sera copié partout, jusqu’à ses poignées de meubles qui marqueront le style « 50 ».
LE SEJOUR : LE LUXE DE L’ESPACE MINIMAL
Les proportions du séjour surprennent, tant elles sont différentes de celles des espaces standardisés auxquels nous ont habitué l’intense rénovation urbaine des années 60 à 80 et la prolifération des maisons de pavillonneurs. Dans un appartement « Type 4 » (4 pièces principales, séjour et 3 chambres), on s’attend à trouver une pièce un peu plus large que profonde, d’une vingtaine de mètres carrés, avec 2,50m sous plafond. Rien de tout ça ici : le séjour débute par le coin-repas, 3,66m de large seulement et pas plus de 2,26m de haut. Votre serviteur, qui n’a pourtant pas le profil du basketteur, touche le plafond le bras levé. Puis brutalement, on passe au salon dans un double volume nettement plus haut que large : toujours 3,66 en largeur, mais 4,84m de haut, ce qui est tout aussi inhabituel ! On passe donc d’un volume étroit et surbaissé, à un volume qui paraît exceptionnellement haut, d’autant plus qu’il est étroit !
La grande astuce du Corbusier est de tricher sur l’échelle, une notion architecturale très subtile, qu’il utilise dans toutes ses réalisations domestiques. En effet, notre cerveau mesure inconsciemment l’espace, non seulement par rapport au corps, mais aussi par comparaison avec des grandeurs qu’il connaît bien: une porte, un lit, une chaise par exemple. En réduisant la hauteur du coin-repas, Le Corbusier le fait paraître plus large qu’il n’est en réalité. De même, en réduisant la largeur du salon, il le fait paraître plus haut qu’il n’est en réalité. Et le passage de l’un à l’autre des deux volumes (horizontal / vertical) accroît encore ce phénomène. On croit donc ce séjour spacieux, alors qu’il n’en est rien : une vingtaine de mètres carrés. Réduits par l’escalier métallique de Jean Prouvé, conduisant à l’étage, lequel fait des efforts pour ne pas trop encombrer l’espace, en se passant de contremarches et en offrant un garde corps réduit à quelques minces tubes.
L’avantage de ce double-volume, c’est qu’il permet à la lumière naturelle de pénétrer profondément dans l’appartement, jusqu’à la cuisine qui est en second-jour. On n’y a donc pas l’impression de se trouver au fond d’une grotte, mais face à un espace qui s’ouvre en direction du paysage. Et quel panorama : La Méditerranée d’un côté et le massif de l’Etoile de l’autre !
Le séjour s’accroît d’une loggia, espace de transition entre intérieur et extérieur, de 1,40m de profondeur, ce qui le rend également habitable : on peut y disposer une chaise longue, ou une table pour deux. Cet entre-deux possède un plafond surbaissé à 2,26m car une dalle formant brise-soleil le divise en deux dans sa hauteur. Le nettoyage des vitrages situés au-dessus se révèle particulièrement acrobatique!
Comme dans la cuisine, une partie du mobilier est déjà intégré dans ce séjour : les bibliothèques sont encastrées dans les murs mitoyens et une banquette en bois (dissimulant le système d’air pulsé), peut faire office de canapé de fortune, moyennant quelques coussins. Cette solution sera reprise par Charlotte Perriand dans ses studios pour la station de ski des Arcs (dont je vous parlerai dans un prochain article). Dans la loggia on retrouve aussi des niches et aussi une tablette pour poser des pots de fleurs.
LE DEGAGEMENT
En empruntant l’escalier de Jean Prouvé, on rejoint l’étage qu’on aborde par son centre: un dégagement (n°5 ci-dessous) qui distribue la chambre parentale (n°4), une cabine de douche, l’unique Wc de l’appartement et deux chambres d’enfants (n°6). Cet espace est spécialement vaste à cause de l’épaisseur de l’immeuble: 24 mètres de façade à façade, alors qu’une barre HLM ordinaire mesure moitié moins, voire le tiers. Les dimensions de l’étage sont conditionnées par la largeur des deux séjour-cuisine opposés dos-à-dos, de part et d’autre de la rue intérieure, comme le montre la coupe ci-dessus. Du coup les chambres d’enfants sont extrêmement profondes, et pareil pour ce dégagement central.
De ce qui pourrait paraître un défaut, Charlotte Perriand a fait une qualité: elle a fait de cet espace complètement dépourvu de lumière naturelle, une lingerie familliale. Elle l’a équipée d’une profusion de placards intégrés, dotés d’aménagements intérieurs à faire pâlir d’envie une armoire IKEA: étagères, tiroirs, porte formant bibliothèque d’un côté et range-chaussure de l’autre et même… une table à repasser rabattable (en pointillés sur le plan)! Quel appartement possède ce genre d’aménagement? Ne cherchez pas, il n’y en a aucun autre. Contrairement à IKEA, Charlotte Perriand sait qu’une penderie mesure 60cm de profondeur, mais pas une armoire à linge, car le linge plié ne fait pas plus de 40cm : il y a donc deux profondeurs de placards. Mais encore une fois, Le Corbusier n’avait pas prévu l’avenir radieux des Arts Ménagers. Il ne manque en effet qu’une chose dans cette lingerie exceptionnelle, et c’est pourtant la seule chose dont aucun d’entre nous ne peut plus se passer de nos jours: un lave-linge. Et ceux qui disposent en plus d’un sèche-linge (de plus en plus courant dans les familles nombreuses) sont bien embarrassés pour les raccorder. C’est pourtant ici qu’ils ont trouvé place, dans ce vaste espace, car les salles d’eaux sont trop petites pour les accueillir, quant à la « cuisine marseillaise », j’en ai déjà parlé plus haut. D’autres ont démonté le bidet pour poser le lave-linge à sa place et ont converti la lingerie en salon de télé ou en coin ordinateur, toutes choses que Le Corbusier n’avait pas prévu non plus. Preuve que les habitants savent toujours détourner l’espace à leur avantage, lorsqu’il n’est pas trop compté.
LA SUITE PARENTALE
C’est un des lieux-communs des nouveaux logis de standing: les chambres des parents deviennent des « suites ». Sur la demande insistante de leurs utilisateurs, elles sont précédées de dressings et suivies de salles de bains. Bien avant que les promoteurs et les Maisons Phénix ne s’en aperçoivent, Charlotte Perriand et le Corbusier y avaient pourvu, et même un peu mieux. Cette chambre principale est en mezzanine et surplombe le séjour pour jouir du panorama sur la Méditerranée ou les montagnes de l’Etoile. Très belle vue, dont les pères et mères de famille auront sans doute peu le loisir de profiter. En revanche ils subiront le brouhaha de leur progéniture, installée dans le salon à l’étage inférieur, depuis que les enfants ne se couchent plus avant leurs parents — évolution post soixante-huitarde que les concepteurs avisés ne pouvaient pas prévoir… L’ennui c’est que les parents ne peuvent pas aller dormir ailleurs, attendu que les autres chambres sont trop étroites pour accueillir un grand lit! D’où la nécessité d’aménager un coin-télé dans le dégagement de l’étage.
En revanche, Charlotte Perriand a prévu ce qui se passait fréquemment, à une époque où la contraception n’existait pour ainsi-dire pas: l’arrivée d’un bébé. La chambre des parents dispose d’un petit coin pour un berceau, avec juste à côté une table à langer. En mère de famille attentionnée, Charlotte Perriand a équipé la table d’un tiroir à linge sale et de niches pour ranger les langes et les produits de soin du bébé. Elle a aussi évidé la bibliothèque formant garde-corps, au niveau du coin-berceau, pour que les parents puissent surveiller le bébé depuis le salon! Puisque le bébé se couche bien entendu avant ses parents… Avez-vous déjà vu cela dans un autre appartement standardisé? Non, évidemment. La chambre est également pourvue d’une armoire à linge, à côté de laquelle une petite porte donne dans une salle de bains privative. Celle-ci dispose d’un lavabo, d’une baignoire de généreuses dimensions et d’un bidet (encore une attention de Charlotte Perriand, cette fois-ci envers l’hygiène féminine), deux accessoires d’un luxe absolu, à une époque où en France, seulement 10% des logements disposaient d’une salle d’eau ! Et plus des trois quarts n’avaient tout simplement pas de WC…
LES CHAMBRES JUMELLES
Une paire de chambres d’enfants, conçues sur le modèle de cellules monacales, enchaînent en direction de la lumière et de la vue sur les paysages marseillais : un cabinet de toilette avec lavabo, séparé du coin-nuit par une armoire-penderie, un coin jeu ou travail devant la baie vitrée, garnie, comme celle du salon, d’une une banquette dissimulant les bouches de soufflage d’air neuf. La famille de 4 personnes et un bébé dispose donc de trois lavabos, une cabine de douche (donnant dans le dégagement) et une baignoire, ce qui est exceptionnel dans les années 50 où près de la moitié des logements Français n’avaient même pas l’eau courante. Cet équipement toujours hors du commun en 2015, permet de gérer sans problème les embouteillages sanitaires matinaux causés par les soins du corps de toute la famille.
Les chambres ont des proportions inhabituelles, évoquant plutôt le couloir : 1,83 m de large pour 2,26m de haut, mais 8 mètres de longueur! Heureusement, au milieu de la paire de chambres, la cloison est escamotable pour dégager un vaste espace de jeux communs (de plus de 3,66m de large, par conséquent). La porte coulissante, qui permet aussi de vivre chacun dans sa chambre, est peinte en noir mat pour servir également de tableau.
Le Corbusier disait qu’on pouvait entrer dans ses appartements avec seulement ses valises, ce n’est pas tout à fait juste, mais une bonne partie du gros mobilier est déjà là, ce qui limitait les frais pour les réfugiés du Vieux-Port, qui avaient tout perdu dans les bombardements. En contrepartie, l’étroitesse des chambres exclut d’avoir d’autre mobilier que celui qui est livré avec l’appartement. Cet ameublement très réduit induit un mode de vie particulier: par exemple, une partie du vestiaire de la famille devra forcément se trouver dans le dégagement, ce qui impose d’aller chercher ses habits avant de faire sa toilette matinale. Ce qui n’est pas dans les habitudes de tout le monde.
A contrario c’est la raison de l’immense succès du « 3-pièces-cuisine » au standard français, avec sa partition jour / nuit : mis au point dans les années 60, il ne suscite presque aucune critique de ses innombrables utilisateurs, 50 ans après. Il permet une vie de famille ordinaire, à l’occidentale, et sa grande banalité laisse une importante latitude aux différences de vie et de mobilier de ses habitants.
EN GUISE DE CONCLUSION (provisoire…)
Au tournant du 21ème siècle sècle, alors que notre civilisation est en plein bouleversement, il est bon d’évaluer l’héritage du siècle précédent, et notamment sa figure majeure en architecture: Le Corbusier. Des aigris, qui refusent de regarder vers l’avenir, le font sur le mode critique; j’ai préféré vous montrer la richesse exceptionnelle de l’Unité d’Habitation, mais aussi les risques d’une architecture qui prétend faire le bonheur de ses utilisateurs sans les connaître au fond, et qui veut tout prévoir sans envisager une seule seconde l’imprévisible. Or le 21ème siècle sera imprévisible par nature, on le voit dès à présent : tous ceux qui n’auront pas prévu d’accueillir l’imprévu, seront dépassés par les événements. Pour le logement du 21ème siècle, il importe de connaître les usages réels des habitants, mais surtout de prévoir une place pour l’imprévu, soit en voyant plus large, soit en faisant plus polyvalent. Il est donc grand temps de faire évoluer le « 3-pièces cuisine » de monsieur et madame Dupont, autrement que par l’impact de la réglementation handicapés, qui conduit à reléguer les cuisines dans les séjours faute de place, ou en autorisant subrepticement les WC à s’ouvrir dans ces deux locaux ! Au contraire, je constate avec bonheur que les émissions de télé spécialisées dans l’aménagement intérieur, s’emploient activement à faire évoluer les goûts des Français et par conséquent leurs attentes. Je fais confiance à mes consoeurs et confrères pour entendre leurs demandes et y donner des réponses aussi créatives que celles du Corbusier et de Charlotte Perriand.
Ecoutez comment vit la Maison du Fada en 2022 dans ce savoureux petit documentaire de France Culture :
Les 70 ans de la Cité radieuse de Le Corbusier : l’Unité d’habitation à l’heure du Airbnb
Bonjour et merci de m’avoir répondu.
(Pardonnez-moi d’avance ma colossale naïveté et ma méconnaissance totale de l’architecture)
Pourquoi s’en inspirer « mal » ?
Pourquoi ne pas s’en inspirer « bien » ?
Le Corbusier a quand même bien débroussaillé le concept d’unité d’habitation rationnelle ET agréable à vivre.
Qu’en reste-t-il ?
La maison du fada est un monument de l’architecture toujours debout (et ses habitants en sont des fans même s’ils doivent se passer de frigo américain a double battant) alors que les grands ensembles qui en sont prétendument inspirés tombent dans la poussière des dynamiteurs.
50 ans plus tard,
-on ne construit toujours pas d’espaces communs sur les toits des immeubles neufs,
-on ne construit toujours pas sur pilotis car on enterre les parkings (même si les femmes en ont une trouille bleue),
-les appartements récents (en tout cas ceux que j’ai visités) n’ont même plus de placards intégrés (alors que ceux des années 70 en ont),
-les chambres d’enfants ne communiquent toujours pas,
-on descend encore et toujours les poubelles dans l’ascenseur depuis que les vide ordures ont étés interdits.
Je vous le redemande, que reste-t-il de l’œuvre du maitre pour les petites classes moyennes (dont je suis)?
Dans les appartements neufs, la cuisine est livrée vide avec tous les tuyaux et plein de branchements électriques pour que chacun puisse fantasmer sa propre cuisine clinquante, et en plus elle est dans un coin du salon, à l’américaine (hum, y a bon l’odeur de graillon pour la soirée télé en amoureux), en étage les balconnets de 1m carré cinquante permettent de sortir fumer une clope (mais au rez-de-chaussée le jardinet de 20 m2 peut accueillir royalement un barbecue électrique et une table pour 4) et on est en norme BBC obligatoire, ce qui a augmenté le coût de la construction d’un bon tiers.
Je sais pas…, je me sens un peu… trahis.
Au plaisir de vous lire.
Mais non, vous n’êtes pas naïf, au contraire, vous visez juste sur un problème de fond : comment se fait-il que la qualité d’usage du logement courant soit en baisse constante? Vos exemples sont justes, je pourrais y ajouter la baisse de la surface moyenne, ou les conséquences de l’accessibilité handicapés universelle sur la répartition des surfaces, etc… Il y a long à dire sur le sujet, j’en ferai sans doute un article bientôt.
Heureusement il existe des contre-exemples, même dans le logement social comme ici Et j’ai d’autres réalisations en tête, contemporaines ou plus anciennes, dont je vous parlerai bientôt…
Bonjour et félicitation pour votre blog qui est magnifique et fort intéressant.
Je suis fasciné depuis toujours par la maison du fada et par son principe du tout intégré dès la création, permettant selon son créateur de s’y installer avec simplement ses valises, un idéal de simplicité et de décroissance avant l’heure (bien qu’initié par l’obligation de loger des gens ayant tout perdu a cause de la guerre)
A méditer a notre époque troublée…
En tant que béotien en architecture,je me pose juste quelques questions théoriques.
Si quelqu’un programmait un logiciel de création 3D d’architecture avec les données (réactualisées et modernisées) du Corbusier pour modéliser une nouvelle maison du fada, cela serait un plagiat? *
Allons plus loin, introduisons ce programme dans une imprimante 3D et sortons en une maquette super chouettos que l’on peut montrer à une assemblée de personnes fort sérieuses et portant cravate ainsi qu’à quelques journalistes curieux.
Allons encore plus loin, achetons aux chinois (ou piquons leur les plans) un modèle géant d’imprimante 3D qui imprime des maisons et même des immeubles (YouTube https://youtu.be/ZkeU92Y0Q_k)
et voyons ce qui en sort.
WHAOU!!! du Corbusier à pas cher, de la cité idéale au kilomètre pour loger les déshérités, les mal logés et les migrants que les barbares ont jetés sur les routes de l’espoir et qui se retrouvent dans des bidonvilles boueux.
Alors, rêve ou cauchemar ?
*Y a t’il un copyright sur les plans d’un architecte mort depuis 1977 avec des royalties a verser à ses ayants droit ou descendants?
Bonne journée.
Merci pour vos compliments qui me touchent beaucoup!
Le copyright est une loi américaine. En France, nous avons la loi sur le Droit d’Auteur: ce droit est inaliénable (on ne peut le vendre) et imprescriptible (sans limite de délai). Donc pour exploiter les plans du Corbu il faut demander à la Fondation Le Corbusier.
Pour savoir s’il est possible « d’imprimer » un bâtiment, il suffit d’aller visiter un chantier: on comprend très vite que la complexité des détails entre matériaux et notamment la profusion des réseaux rend « l’impression » impossible.
La dernière fois qu’on a industrialisé le bâtiment pour loger les pauvres à pas cher, en s’inspirant plus ou moins mal des théories d’architectes et d’urbanistes savants, dont Le Corbusier, ça a donné les Grands Ensembles et les ZUP. Pas sûr qu’il faille essayer à nouveau…
La « cuisine de Francfort » présentée de manière amusante par Arte, la chaîne franco-allemande, ici:
http://www.arte.tv/magazine/karambolage/fr/larchitecture-la-cuisine-de-francfort-061895-000