Fleur de bitume

21 logements sociaux, ZAC  de la Porte Pouchet à Paris. Hondelatte & Laporte architectes – 2012

La rue Rébière, vue de la Porte Pouchet, avec au premier plan la Tour Bois-le-Prêtre dont je vous parlerai dans un prochain article

La rue Rébière, vue de la Porte Pouchet, avec au premier plan la Tour Bois-le-Prêtre dont je vous parlerai dans un prochain article

Il existe, aux abords de la Porte Pouchet à Paris, une longue rue fort triste : d’une rectitude implacable, la rue Pierre-Rébière est bordée au sud-ouest par d’interminables barres ingrates qui lui coupent le soleil, et de l’autre côté par le mur de clôture du Cimetière des Batignolles. En réduisant le gabarit viaire des deux tiers, la Mairie de Paris a ménagé, le long du mur du cimetière, une longue parcelle étroite. Dans cet environnement désolant, des jeunes confrères et consœurs sont venus insuffler de la vie, par le biais d’un atelier de création urbaine, une procédure dont je dirai tout le bien que je pense dans un prochain article.

En figure de proue de cette succession d’architectures domestiques sympathiques, de bonne qualité et de styles variés, l’agence Hondelatte & Laporte a planté une tour et une sorte de « plot » dont les façades, carrossées de tôles ondulées comme des fourgons Citroën, sont agrémentées d’un incroyable empilement de terrasses multicolores. A côté de l’entrée du cimetière, le contraste est absolu : la tristesse noyée dans la végétation, opposée au délire psychédélique et aux matériaux modernes. Comme un monumental pied de nez à la mort ! Il fallait oser : chapeau !

Photo B. Ligen

Et pourtant je ne suis pas un fan des grosses déconnades architecturales en ville, car « les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures ». Quand j’étais étudiant, une agence d’archi proche de mon école s’était laissée aller à un de ces gags colorés sur le fond de tôle d’acier de sa façade. Mes profs, qui avaient de l’expérience, avaient prédit « vous verrez : on rira quelques semaines, on regardera quelques autres, puis ça nous lassera et finalement à la longue on trouvera ça naze ». Bien vu : le geste, gratuit, a lassé bien vite et déconsidéré l’agence aux yeux des étudiants qui passaient devant chaque jour. Ici on pourrait craindre le pire, effectivement. Les esprits chagrins pourraient rappeler à juste titre que la Ville se construit essentiellement d’architectures ordinaires, sagement alignées le long des rues. Sauf que dans ce contexte, on est largement servis côté sagesse d’alignement et architecture (très…) ordinaire ! A tel point que c’est triste à chialer, à juste titre. Et c’est justement dans cet environnement déprimant qu’on attend le moins l’irruption tonitruante de la vie dans sa jeunesse : c’est justement là que ça fait un bien fou ! Et comme les architectes de cette opération ne sont pas des idiots, ils ne se sont pas arrêtés à un gag coloré. Les plans des appartements sont ultra-fonctionnels, laissant la plus grande place au séjour : ça fait du bien, par ses temps de disette d’espace, consécutive à l’accessibilité handicapés ! La structure est originale (voiles/dalles mais aussi poteaux) et les finitions sont plutôt soignées. Et ces balcons colorés permettent de déjouer les contraintes d’urbanisme qui interdisent de regarder vers le cimetière : pourtant quel havre de verdure ! En plus, les voisins sont calmes, sauf à la Toussaint, j’en sais quelque chose : j’ai vécu 19 ans face à un cimetière.

...et ça tombe pas! Voilà un bureau d'études structure courageux!

…et ça tombe pas! Voilà un bureau d’études structure courageux!

Ah bien sûr il y a ces allèges vitrées, impossibles à nettoyer de l’intérieur, et l’absence totale de traitement du rapport au sol (voir à ce sujet mon article sur la Tour Bois-le-Prêtre, voisine). Mais il y a surtout le franchissement du vertigineux isthme, large de moins d’un mètre, qui sépare le salon de ces terrasses posées en équilibre l’une sur l’autre, telles des assiettes empilées au bord d’un évier ! Il va falloir du cran pour habiter ces balcons d’un nouveau genre ! Et une bonne dose d’exhibitionnisme pour oser exposer sa petite vie sur un tel carrousel, face aux convois mortuaires : peut-on trouver autant d’aplomb chez les attributaires habituels du logement social parisien ? L’avenir le dira… En attendant c’est un pari audacieux, comme on n’en voit plus tellement de nos jours !

Paris Architectures #42 – Autrement rue Rebière par Pavillon-Arsenal

4 Commentaires

  1. La « pile d’assiette » colorée et joyeuse, en façade est assez osée (surtout face à un cimetière), comment les habitants vont ils se les approprier dans le futur ?, là est la vraie question.

    En tout cas, c’est malin, l’immeuble, sans cela serait tout simplement invisible de banalité.

    Dans la vidéo « paris architecture vidéo 42 », j’ai particulièrement apprécié l’immeuble en V, voila un endroit où j’aimerai vivre.

    Merci pour cet article, bonne journée.

    • Merci pour votre commentaire! Effectivement, il y a d’autres architectures intéressantes dans cette rue improbable, allez voir sur place: c’est inattendu et très sympa!

  2. Merci Mireille, rafraîchissant est bien le mot qui convient pour cette architecture !

  3. bravo bernard pour cet article rafraichissant

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